Pour cette première manifestation d’un programme d’expositions de collections privées, trois jeunes collectionneurs (Olivier Gevart, Bruxelles ; Joseph Kouli, Paris et Sébastien Peyret, Marseille) sondent l’érosion de l’esprit collectif et de la mémoire individuelle.
Volontairement ouverte, l’exposition OÙ VA L’ESPRIT rassemble quinze artistes internationaux, dont les œuvres oscillent entre le désabusement de la fin des utopies et l’énergie d’une liberté retrouvée.
Elle a pour point de départ l’œuvre de Fabrice Samyn Breath Piece III – A breathe timeline (2014), série de 16 dessins qui sont autant de tentatives de réaliser le portrait d’EP, souffrant d’Alzheimer, autant de tentatives d’enregistrer la disparition pure et simple de l’esprit.
Autour de cette œuvre centrale, l’exposition invite l’esprit du spectateur à se désolidariser de toute autorité – qu’elle soit morale, physique – ou même curatoriale. Car le souhait n’est pas d’imposer. A l’image de l’œuvre d’Edith Dekyndt, One Second of Silence (Part01, New York), dont le drapeau transparent flotte au gré du vent, laissant apparaitre les nuages, le ciel, signe qu’un emblème national même – qui habituellement fait communauté – peut abandonner toute volonté de revendication patriote ou esprit de conquête.
Autre exemple d’œuvre, tout aussi engagée, sans être politique, celle de Xavier Antin untitled (Offshore), 2014, propose une méditation sur l’apogée du capitalisme et de l’économie libérale. Il s’agit de la représentation du bureau d’une société écran lambda. Forcément. Parfaite, sans faute de goût mais désespérément vide. L’œuvre de Xavier Antin propose une réflexion sur l’échec d’un système devenu déshumanisé et, en filigrane, sur le fonctionnel et le décoratif – deux considérations qui touchent intrinsèquement à la question de l’œuvre d’art.
Plus éthérée, l’œuvre de Martin Soto Climent Intimate Paradise (Neuter naturalis) figure, quant à elle, une apparition au milieu de l’espace d’exposition. Une veste verte, aux couleurs de l’Espoir et motifs floraux, est en lévitation. Presque christique. Libérée du corps possible qui pourrait l’habiter, elle n’est plus que la projection, intime voir obscène, de ce qui pourrait advenir après la mort.
Cette exposition commune, augmentée par des emprunts réalisés à quelques autres modestes collections privées, est unique car elle déjoue – au-delà de son discours – les poncifs liés à la figure du collectionneur individualiste et investisseur, voir décorateur. Non pas que les œuvres montrées n’aient pas de valeur. Au contraire, cette valeur est recentrée sur la présence parfois même évanescente des œuvres, leur esprit et ce qu’elles disent de la vie ou ce qu’il en reste.
Elle évoque en creux les tenants et les aboutissants (s’il y en a) d’une collection privée, tant motivée par l’excitation de la découverte que par la vaniteuse fuite en avant – l’acquisition d’une œuvre en entraînant une autre, dans un tourbillon sans fin.
L’exposition OÙ VA L’ESPRIT signifie qu’au fond, tous les collectionneurs individuellement, entreprennent de conjurer le même sort : le délitement intellectuel et physique qui guette l’humanité entière. Et si la possession physique ou capitalistique n’est pas indispensable, la jouissance intellectuelle procurée par chaque œuvre, semble, elle, au cœur de cette mécanique infernale.
Leslie Compan
L’exposition voyagera ensuite à Paris, en octobre 2018 où elle sera présentée au Collector Space indépendant de Joseph Kouli (Paris) et à Bruxelles en mars 2019 où elle sera accueillie à l’Eté 78, espace d’art indépendant.
Remerciements aux prêteurs :
Emilien Chayia, Philippe Dejacques, Olivier Gevart, Joseph Kouli, Groupe Lumière, Sébastien Peyret, Séverine Peyret-Galland.